Passeport Éducfi généralisé en 4ème

Une conception réactionnaire et utilitariste du rôle de l’école
lundi 26 février 2024
par  Secteur politique éducative

La “semaine de l’éducation financière” qui se déroule cette année du 18 au 23 mars est présentée comme le moment privilégié pour organiser dans les collèges le “passeport Éducfi” généralisé désormais à tous les élèves de 4ème.

Selon la fiche Éduscol, le passeport Éducfi « initie les futurs citoyens à savoir bien gérer leurs finances personnelles dans un contexte où les produits et les acteurs financiers se sont complexifiés et dans lequel des pratiques commerciales numériques se sont multipliées ».
Il répond à un triple objectif : savoir « gérer son argent afin d’éviter le surendettement, savoir planifier et épargner », savoir "se protéger contre les arnaques financières ou les pratiques commerciales trompeuses”.
Le dispositif se compose d’une formation de deux heures dont le support est un diaporama modifiable et adaptable, puis d’un test sur le fonctionnement d’un budget et d’un compte courant, ainsi que sur les principaux moyens de paiement, l’épargne, le crédit et « la prévention des arnaques ».
En réalité, cette nouvelle certification après l’ASSR, Pix et Ev@lang reflète une conception utilitariste et réactionnaire du rôle de l’école :

  • Une école où l’on ne forme pas des futurs citoyens émancipés, mais où l’on “éduque à …”
    Les « éducations à » (sécurité routière, maniement de l’outil informatique, compétences psycho-sociales, médias, réseaux sociaux, entreprenariat, sexualité, environnement …) se combinent à une instruction minimale (le socle : lire, écrire, compter et un peu de “culture générale”) dans une vision utilitariste de l’éducation qui valorise l’employabilité à travers des buts comportementaux, voire un certain formatage. Quelle urgence y-t-il à former des adolescents de 13-14 ans à la tenue d’un budget familial ?
  • Une école où les heures disciplinaires sont progressivement reléguées au second plan et où la certification remplace le diplôme
    Éducfi vient encore prendre des heures aux disciplines déjà la plupart du temps réduites à leur horaire plancher. Le diplôme est une nouvelle fois dévalorisé au profit de certifications, gratuites à l’école mais qui deviennent payantes et monnayables sur le marché du travail lorsque les jeunes entrent dans la vie active. C’est déjà le cas avec Pix.
  • Une école qui véhicule des valeurs passéistes, voire réactionnaires
    Le contenu du diaporama de préparation des élèves à Éducfi semble tout droit sorti des cours de morale et d’économie ménagère de la IIIe République où l’épargne est une vertu et où pour ne pas trop dépenser il faut privilégier les cadeaux “fabriqués main” et les “loisirs gratuits”, mais aussi « prévoir de disposer de l’argent nécessaire pour les dépenses envisagées », se demander avant de contracter un prêt « si l’on en a vraiment besoin » et « détartrer la cafetière » pour réduire sa consommation d’électricité ...
  • Une école qui renvoie tout à la seule responsabilité individuelle
    Éducfi s’inscrit « dans le cadre du plan pluriannuel contre la pauvreté pour l’inclusion sociale », ce qui sous-entend que l’on peut lutter contre l’exclusion en apprenant aux pauvres à gérer correctement leur budget ! Ainsi, il est conseillé pour faire des économies de « baisser le chauffage à 19 degrés » alors que selon l’INSEE, 3,5 millions de ménages déclarent souffrir du froid dans leur logement ...Nulle part on ne s’interroge sur les raisons de la pauvreté, sur le chômage, l’inflation ou le durcissement des politiques sociales. Tout est affaire de responsabilité individuelle, rien n’est contextualisé et rien n’invite à l’esprit critique. L’unique exemple de budget choisi dans le diaporama est celui d’un ménage de 4 personnes grosso modo au niveau du revenu français médian …Les inégalités ne sont pas évoquées et les revenus du capital ne semblent pas exister, alors même que les enjeux de la consommation et de l’épargne ont disparu des derniers programmes de SES de seconde.
  • Une école où les professeurs se forment sur leur temps libre à mettre en œuvre des séquences pédagogiques dont ils ne sont plus les concepteurs
    Selon la fiche Éduscol citée plus haut, “l’Éducfi ne nécessite pas de compétences professionnelles spécifiques : tous les professeurs et personnels peuvent s’engager dans cette éducation. Des ressources d’accompagnement et un parcours d’autoformation sont mis à disposition des équipes éducatives : ils permettent une prise en charge et une préparation de la passation du passeport, simples, souples, adaptables et nécessitant peu de matériel”. Les enseignants deviennent ainsi des exécutants interchangeables et remplaçables par le premier venu, projetant des diaporamas “clé en main”, dépossédés de leurs évaluations. La baisse des exigences disciplinaires du CAPES va exactement dans ce sens.
  • Une école qui externalise certaines de ses missions et les confie à des fondations d’entreprises et à des associations
    Le passeport Éducfi est en effet mis en place sous l’égide de l’OCDE, en partenariat avec la Banque de France et avec le soutien de nombreuses associations et fondations d’entreprises bénéficiant de fonds publics sous différentes formes.

Pour toutes ces raisons, le SNES-FSU appelle les collègues à ne pas s’engager dans Éducfi. Même si les élèves passent la certification, les professeurs restent libres de leur enseignement. Pour le SNES-FSU, une formation aux grands enjeux économiques et sociaux est nécessaire, mais elle doit être intégrée dans les programmes d’histoire-géographie, EMC et de SES, et surtout ne pas se limiter à des aspects pratiques.