La région Ile-de-France à l’offensive pour détruire le service public d’Éducation

lundi 2 octobre 2023
par  Secteur politique éducative

En décidant de saisir l’État pour obtenir le transfert de 45 compétences nouvelles à la région, la majorité à la tête de la région Ile-de-France dévoile une vraie machine de guerre envers l’enseignement public et républicain.

Le Sénat contrôlé en majorité par Les Républicains avait déjà élaboré un projet de loi en avril dernier visant, sous couvert de développer « l’école de la liberté, de l’égalité des chances et de la laïcité », à détruire le service public d’éducation français. Dans le sillage du projet défendu par le sénateur Max Brisson, la région Ile-de-France, dirigée depuis 2015 par Valérie Pécresse, enfonce le clou dans la même direction avec la demande de transfert de 45 compétences que l’État serait amené à lui conférer. Ce projet est extrêmement dangereux, notamment pour l’Éducation nationale, et mérite un décryptage.

Un « droit de saisine » pour dessaisir l’État
La décentralisation a très souvent été en France un cheval de Troie pour la mise en concurrence des territoires et pour la déconstruction de l’État social. Il est tout à fait logique que la région Ile-de-France profite de la loi du 21 février 2022 dite « loi 3DS » – loi qui fixe le « droit à la différenciation » dans le code général des collectivités territoriales –, pour demander à l’État le transfert d’un certain nombre de compétences. Le contenu de cette demande apparait dans un Rapport pour « un choc de la décentralisation en Ile-de-France », dont voici le contenu pour l’Education

Prêchi-prêcha libéral

Après une introduction de Valérie Pécresse qui rejoue la vieille partition d’une tradition girondine française « respectueuse des territoires et des réalités locales » face à une tradition jacobine dont il faudrait tourner la page au plus vite, le rapport dévoile le contenu de 43 demandes qui sont avant tout une attaque ultra-libérale contre le modèle social français, son service public et son système éducatif. On ne s’attardera que sur cet aspect particulier même si les demandes de la région touchent à bien d’autres domaines (régionalisation du Pôle emploi, création d’un SMIG francilien etc.).

Il s’agit de détruire le cadre national, le statut des personnels et toute idée d’égalité et d’équité entre les élèves et les établissements en dessaisissant drastiquement l’État de ses fonctions.
Le rapport est truffé d’un jargon managérial que l’on connait que trop, abusant des expressions à première vue séduisantes (« fluidifier », « optimiser », améliorer « l’opérationalité », changer la « gouvernance »…) mais qui dissimulent à peine une volonté d’imiter le modèle libéral anglo-saxon. En vantant les charters schools comme modèles le rapport ne se cache en fait même pas le fond de son projet.

Les lycées professionnels tout particulièrement exposés
La volonté de prendre le contrôle du lycée professionnel, notamment en les alignant sur une carte des formations voulue par la région en étant calquée sur les bassins d’emploi, est ancienne. Mais il s’agit cette fois d’aller plus loin encore pour la région Île-de-France : les lycées professionnels deviendraient simplement des « États publics locaux d’enseignement régional » ce qui implique évidemment qu’ils seraient sous « pilotage de la Région Ile-de-France ». Les conséquences sont franchement tirées : régionalisation des recrutements et de la gestion des carrières avec en fait l’objectif de l’alignement sur le statut des agents TOS ; prise de contrôle définitive sur la carte des formations par la région ; sortie du Code de l’Éducation pour les lycées professionnels au profit d’un « gouvernance locale » ; libre recrutement du chef d’établissement via la création de contrat de mission ; moyens ajustables. Le tableau est extrêmement inquiétant.

Les écoles primaires sous contrat ou une semi-privatisation en marche
À défaut de pouvoir prétendre prendre directement le contrôle des écoles primaires et des lycées généraux et technologiques, la région se propose une prise de contrôle par étapes successives.
En neuvième mesure, la région prétend pouvoir créer des « écoles primaires autonomes sous contrat », contrat passés avec la région évidemment. Se parant du besoin de la « concurrence des méthodes » et de la « liberté d’expérimenter » et après avoir décrié « l’obsession jacobine pour l’égalité et l’uniformité », la région affiche vouloir créer des écoles primaires sous contrat avec l’État mais rattachées à la région Ile-de-France. Implantées dans les territoires les plus en difficulté – trop souvent cobayes des pires expérimentations –, elles devraient produire des rapports de performance manifestant une nouvelle « culture de la responsabilité ». Et elles seraient l’objet d’une « évaluation régulière et exigeante » soit une mise sous tutelle dans les faits.
Leur gouvernance relèverait d’une autonomie notamment dans le « recrutement des élèves » et « l’affectation des personnels »… soit la mécanique de gestion des établissements privés sous contrat aujourd’hui. En fait ces écoles primaires sous contrat de la Région n’auraient de publiques que le nom. Elles participeraient encore plus d’une destruction du cadre national puisque ces écoles auraient une « très grande liberté dans l’organisation des horaires des programmes, des enseignements ».

Vers la régionalisation totale des services d’orientation

Enfin, la Région veut poursuivre jusqu’au bout la logique de décentralisation des CIO en les prenant totalement en main, y compris pour le recrutement des Psy-EN !

Les lycées et les personnels sous tutelle de la Région

La casse des lycées dans le projet de la Région s’organiserait selon deux axes. Capitalisant sur le les pénuries de professeurs titulaires, l’Île-de-France se propose de recruter elle-même des enseignants. Ils seraient recrutés sans prérequis de diplôme et ne devant justifier que de cinq ans d’expérience professionnelle sans précision aucune sur le contenu de cette expérience. La Région assène clairement qu’ils sont « dispensés » de concours en tant que « professeurs associés » censés représenter démagogiquement la « richesse » de la « société civile ». Leur recrutement concret serait laissé à la charge des chefs d’établissement, le modèle étant celui du recrutement actuel pourtant totalement insatisfaisant des AESH et des AED. Et ces recrutements ne seraient pas un apport ponctuel notamment lors d’un besoin en remplacement puisqu’il y aurait un quota de postes fléchés pour les recruter. Il s’agit à terme de faire disparaitre les corps de professeurs titulaires fonctionnaires d’État et titulaires d’un concours d’enseignement que constituent les certifiés et les agrégés en grossissant progressivement le quota des « professeurs associés ».

Pour finir, la Région souhaite tout simplement prend le contrôle des Conseils d’administration des lycées : les règles de composition seraient trop uniformes et la Région prétend maintenant les fixer totalement. Sous couvert de bavardages sur la « liberté » des acteurs locaux ou de « l’opérationnalité » des CA, il s’agit clairement de les mettre sous tutelle en accroissant le poids des représentants de la Région au détriment des autres représentants et notamment des enseignants. Parachèvement de la destruction de tout cadre national, les règles de composition pourraient changer selon les établissements… et selon le bon vouloir de la Région. On imagine très bien que les lycées les plus enclins à la protestation seraient traités de manière toute particulière.

Connivences entre la Région et la majorité présidentielle : la vigilance s’impose !

Quand on connait les énormes difficultés de la Région à simplement assurer la qualité du bâti scolaire et les rénovations nécessaires qui relèvent actuellement de son champ de compétences, l’on peut s’étonner de ces prétentions à vouloir accumuler de nouvelles responsabilités qu’elle sera totalement incapable d’assurer convenablement. Mais l’objectif de la majorité régionale est avant tout idéologique : il s’agit de détruire les services publics, certes fragilisés après des décennies de politiques libérales plus ou moins déclarées, mais encore garants d’égalité et d’équité. De plus, il s’agit aussi d’ouvrir tout un champ d’activités au secteur privé qui profite de chaque recul de l’État pour croitre et imposer sa logique de profit.

Certes, la majorité à la tête de la Région Île-de-France n’est pas la majorité gouvernementale constituée par le parti Renaissance. Toutefois, les points de rencontre entre les Républicains et Renaissance se sont faits fréquents depuis le second quinquennat d’Emmanuel Macron et il existe une profonde affinité idéologique entre eux. Le rapport pour le « Choc de décentralisation » rappelle très souvent qu’il s’inspire de mesures déjà en partie amorcées par l’État depuis plusieurs années. Il y a donc tout lieu de s’inquiéter de l’accueil par le Ministère de l’Éducation nationale et par l’Assemblée nationale de cette saisine. La vigilance et l’action s’imposent pour les personnels !