La cité éducative : des moyens insuffisants, et mal employés !

L’exemple d’Argenteuil, plus grande Cité Éducative de France
lundi 11 avril 2022
par  Snes S3 AT

Les collègues exerçant dans les établissements situés en Cité Éducative ne perçoivent pas forcément encore très bien ce que signifie concrètement ce label.

Les premières “assises locales de la Cité Éducative” qui se sont tenues à Argenteuil le 17 février 2022 nous ont permis d’y voir un peu plus clair.

 Les participants : un peu tout le monde

Ces premières “assises” ont réuni les différents partenaires de la Cité éducative.
Tout d’abord la “Troïka” à la tête du dispositif :

  • La municipalité (présence du maire, animateur de la soirée)
  • Les services préfectoraux
  • L’Éducation nationale (le principal du collège J.-J. Rousseau, chef de file de la Cité Éducative)

Différents représentants de l’inspection académique, des élus ainsi que des représentants des personnels et des parents d’élèves de tous les établissements scolaires de la ville étaient également conviés.

 Les principes : éléments de langage et langue de bois

Le maire a insisté sur le fait que la Cité Éducative n’était pas un “dispositif de plus” mais “autre chose avec un supplément d’âme”. Il a rappelé que c’est à la demande de la municipalité que la ville entière avait été labellisée, répétant non sans fierté à plusieurs reprises qu’Argenteuil était “la plus grande Cité Éducative de France” avec ses 41000 jeunes concernés (54 écoles, 9 collèges, 4 lycées).
L’idée générale de la Cité Éducative est de “fédérer” tous les intervenants auprès des jeunes dans une “grande alliance éducative” : les collectivités locales, les ARS, les associations, la CAF, le “monde économique” (pour faciliter l’insertion professionnelle) ...
On a cru comprendre que beaucoup de gens se réunissaient beaucoup sur beaucoup de sujets dans des “groupes thématiques” et des “espaces réflexifs et de partage” pour mettre en place “une Cité éducative inclusive visant à la mixité pour faire communauté sur l’ensemble du territoire”. (sic)
Toutes ces réflexions ont permis la “construction d’un plan d’action”, puis la mise en place d’un “réseau de porteurs d’actions” visant à une “communauté mobilisée vers des objectifs partagés” …
Pour information, une “cheffe de projet Cité Éducative d’Argenteuil” est employée par la mairie.
9 “médiateurs scolaires” sont en cours de recrutement.

 La mise en œuvre : un peu de novlangue

La Cité éducative est mise œuvre selon 3 axes :
1) Conforter le rôle de l’école : “Apprendre, s’épanouir, se transformer”
Hélas, les propos tenus par les intervenants laissaient plutôt entendre l’inverse : Il s’agit en fait d’appliquer l’idéologie néolibérale de la “société apprenante” selon laquelle on apprend partout et avec tout le monde (collectivités territoriales, associations, entreprises …), l’école n’étant qu’un lieu d’instruction et d’éducation parmi bien d’autres, si ce n’est franchement secondaire.
Le schéma officiel de la Cité Éducative est particulièrement parlant sur la vraie place de l’école dans le dispositif …

2) Promouvoir la continuité éducative
Il s’agit principalement de soutien à la parentalité, mais aussi d’activités périscolaires susceptibles d’empiéter sur nos missions.

3) Ouvrir le champ des possibles (“Plan de réussite éducative”)
Ce 3e volet repose sur la mission locale et sur la “Cité de l’emploi” (mission emploi de la municipalité ?). Il s’appuie sur le credo libéral d’adapter l’offre de formation aux besoins immédiats du marché du travail Il s’appuie sur le credo libéral d’adapter l’offre de formation aux besoins immédiats du marché du travail et de donner plus de place aux entreprises et aux collectivités territoriales..

Des “groupes thématiques” ont été proposés aux volontaires :

  • “Parentalité et éducation”
  • “Sport et santé”
  • “Parcours scolaire et insertion professionnelle”
    Nous avons reçu pendant les vacances d’hiver des invitations pour nous y inscrire (boîte académique).

28 “porteurs de projets” (principalement des associations) ont été sélectionnés selon des critères qui n’ont pas été explicités, sans consultation des équipes pédagogiques, par une “commission” à la composition opaque qui a acté les financements.
20 actions sont prévues cette année.

L’ensemble de la réunion a été ponctué par les interventions aux airs de spots publicitaires des associations venues mettre en avant leurs actions et remercier/ se féliciter d’avoir été choisies. Elles interviennent dans de nombreux domaines : prévention de la délinquance, inclusion des élèves en situation de handicap, théâtre-débat, sensibilisation à la Justice des mineurs, promotion des valeurs de la République, coaching pour élèves décrocheurs …

Pour information, une “cheffe de projet Cité Éducative d’Argenteuil” est employée par la mairie.
Lors de la réunion, 9 “médiateurs scolaires” étaient en cours de recrutement. Une petite recherche nous apprend que le recrutement s’est effectué par l’intermédiaire de l’entreprise de médiation sociale Citéo, à un niveau bac/bac + 2, et pour un salaire de 1717 euros brut par mois. Début avril, nous apprenons que les médiateurs commencent à se présenter dans les collèges, n’ayant selon leurs dires à en référer qu’au chef d’établissement et à leur entreprise, elle-même mandatée par la préfecture avec la possibilité de se rendre dans les familles. Leur rôle serait de désamorcer les conflits entre élèves, de lutter contre le harcèlement et le décrochage

 Le financement : très en-deçà des besoins pas directement pour l’éducation nationale et de manière marginale pour la santé

Le budget de la Cité Éducative s’élève à 6,5 millions d’euros sur 3 ans.
Dans l’absolu, la somme est importante et pour les “porteurs de projets”, elle l’est en effet.
Mais comme toujours, tout est question de mise en perspective.
6,5 millions sur 3 ans, cela fait 52,84 euros par jeune et par an, ce qui n’est pas beaucoup pour espérer mettre en place une vraie politique de réduction des inégalités.
Dans le « document de restitution », 8 actions mises en place par la municipalité, mais non mentionnées lors de la réunion, ont été rajoutées. Elles correspondent par exemple à des questions abordées lors de la réunion par une collègue directrice d’école maternelle sur les manques du pôle médico-social. Il s’agit de la « création de permanences en santé : psychologue, orthophoniste ». On n’en sait pas plus pour l’instant, mais cela semble positif bien qu’insuffisant.

Rappelons tout de même que la fin des REP reste programmée, ce qui permettra plus de 230 millions d’économie par an en primes pour les enseignants.
Depuis 2020, ce sont 600 millions économisés sur le budget de l’Éducation nationale que Monsieur Blanquer a rendus à Bercy.

Or, les besoins sont énormes en postes de professionnels qualifiés dans l’Éducation nationale, dans les CMP, dans les hôpitaux : enseignants, AESH, AED, médecins scolaires, infirmiers, assistants sociaux, psychologues, orthophonistes, professionnels de santé mentale …
Dans les établissements, de nombreux collègues mettent en place des projets pédagogiques construits, avec des partenaires qu’ils ont choisis. Pourquoi ne pas tout simplement les financer ?

C’est là que devraient aller les moyens !

Les moyens ne sont pas suffisants, pas employés de manière optimale.
Mieux que rien ?
Pas si sûr …

  • Parce que pendant que nos DHG fondent d’année en année et que les effectifs augmentent dans les classe, ces moyens sont octroyés à des associations ou à divers organismes pour qu’ils interviennent auprès de nos élèves hors de notre contrôle, dans les établissements et en dehors, véhiculant par là l’idée que nos cours n’ont guère de valeur et que tout le monde peut plus ou moins faire notre métier, y compris des jeunes du « service civique » largement présents dans les associations et payés 580 euros par mois (dont 473 financés par l’État).
    Que des associations et des entreprises fassent tout pour obtenir ces moyens est de bonne guerre. Elles facturent leurs prestations et salarient leurs intervenants. On ne peut pas le leur reprocher.
    Il n’en reste pas moins que plusieurs de nos missions pourraient à terme être externalisées totalement. C’est la porte ouverte à la marchandisation de l’éducation.
  • Parce que nous sommes responsables de nos élèves et que nous ne savons pas forcément ce qui se passe pendant certaines interventions.
  • Parce que ce lorsque nous y assistons, nous constatons que ce qui s’y passe peut être de piètre qualité car pris en charge par des personnes (aussi bien intentionnée soient-elles), non qualifiées et/ou non compétentes, sans contrôle réel des autorités rectorales.
    Par exemple, une association bien connue dans les collèges d’Argenteuil fait partie des heureux élus de la Cité Éducative. Ses intervenants assènent aux élèves dans un français aussi approximatif à l’écrit qu’à l’oral des connaissances erronées, d’où le refus de certains collègues de continuer à travailler avec eux.
    Cela n’incite pas à la confiance.

Pour le SNES-FSU, non seulement les Cités Éducatives ne constituent pas une solution pertinente pour lutter contre les inégalités sociales et scolaires, mais elles sont aussi porteuses d’une idéologie qui dévalorise sciemment les métiers de l’éducation, accroît le rôle des collectivités territoriales, prépare à une externalisation de nos missions et à une marchandisation de l’école.
Dans une Cité Éducative de l’académie de Lille, une entreprise locale partenaire propose une méthode novatrice pour apprendre l’anglais, sa plaquette de promotion ne manquant pas de faire remarquer que l’Éducation nationale a failli dans ce rôle …
Nous revendiquons des moyens à la hauteur des enjeux et affectés à une vraie politique d’éducation prioritaire. Cela passe notamment par des embauches par l’Éducation nationale de personnels enseignants et non enseignant, et par l’allègement des effectifs dans les classes.