Réforme du lycée professionnel : l’accentuation d’une logique de destruction

lundi 14 novembre 2022
par  Snes S3 GR

 Une réforme scandaleuse du lycée professionnel

Un projet de réforme massivement rejeté
Les personnels de la voie professionnelle se sont mis en grève le 18 octobre massivement (62%) pour s’opposer à la réforme brutale que le président Macron veut imposer aux lycées professionnels alors même que la dernière réforme, qui date de 2019, n’a pas été évaluée objectivement et sérieusement. Nous ne reviendrons pas ici sur les conclusions de l’IGESR Marc Foucault du 21/10 dont les constatations et analyses de la TVP semblent au mieux complètement décalées de la réalité du terrain et de l’avis des personnels enseignants sur cette dernière. D’ailleurs, l’enquête que l’institut Harris interactive a réalisée à la demande du SNUEP-FSU conclut en mars 2022 que 71% des personnels estiment que la TVP est une mauvaise réforme, 86% qu’elle complexifie l’organisation des établissements, à 67% qu’elle dégrade les conditions de travail et qu’elle aboutit à une perte de sens du métier à 66%.
Dans tous les cas, le préalable à toute évolution de la réforme aurait été, au minimum, qu’un diagnostic partagé ainsi qu’un constat objectif puissent être réalisés avec les représentants des personnels afin que des évolutions puissent se dessiner. Mais, comme d’habitude, tout est déjà arrêté et les conclusions écrites, les 4 groupes de discussion ne servant donc qu’à apporter une caution ou quelques aménagements périphériques sans grande valeur. C’est pour cette raison que notre organisation ne participe pas à cette mascarade de concertations et dénonce avec la plus grande fermeté cette absence de dialogue social et cette manière de faire.
Le 25 avril, le président de la République annonçait une nouvelle méthode de gouvernance. Le constat est, quelques mois après, implacable : rien n’a changé.
Toutes les réformes de la voie professionnelle depuis 15 ans relèvent de la même logique.

 Une logique de destruction du lycée professionnel de droite à l’œuvre depuis les années 2000

La réforme Sarkozy-Darcos du Bac Professionnel, expérimentée en 2007 puis généralisée en 2009, réduisait la scolarité des bacheliers professionnels d’une année en causant de multiples problèmes aux élèves qui optaient pour une poursuite d’études. Interrogé par le Café pédagogique le 18 octobre 2022 sur cette réforme, le recteur Daniel Bloch n’y va pas par quatre chemins : ” La réforme Darcos a surtout été celle d’E Woerth, ministre du Budget” !
Amorcée en 2018, la réforme Blanquer a suivi la même logique comptable en supprimant des centaines d’heures d’enseignement aux élèves, ainsi que le BEP, diplôme bien reconnu par les professionnels.
Le jeudi 25 août 2022, lors de la réunion de rentrée des recteurs, Emmanuel Macron a insisté sur « l’importance » de la réforme de la voie professionnelle, pointant au passage un « gâchis collectif inacceptable » quant aux taux d’insertion des titulaires de CAP et de bac pro. Doit-on alors considérer que la réforme 2019 n’a pas réussi à éviter ce « gâchis » ?
La réponse est non car ce n’était pas le but : la réforme de Blanquer n’était qu’un processus de destruction de la voie professionnelle qu’Emmanuel Macron a rendu lisible ! En plus de ce « gâchis collectif », E Macron a considéré que la filière professionnelle devait devenir « une voie de choix, et par choix ».
Soit. Mais qui l’a empêché de le faire pendant 5 ans ?
Dans la foulée, le 13 septembre 2022, le président de la République, en déplacement aux Sables-d’Olonne, a déclaré qu’il voulait augmenter la durée des stages des lycéens professionnels d’au moins 50 % en trois ans, ce qui réduirait de fait, une fois encore, les heures d’enseignement en lycées professionnels ! Orienter les jeunes dans les métiers en tension en supprimant les filières tertiaires dans lesquelles les jeunes poursuivent davantage leurs études, en augmentant de 50 % le temps de stages en entreprises pour qu’ils et elles travaillent à mi-temps et gratuitement pour l’employeur en classe de terminale, c’est ce modèle fortement corrélé à celui de « l’apprentissage » que le président Macron veut développer pour les lycées professionnels.
Le fil conducteur entre les “réformes” 2009 et 2019 avec celle de Macron en 2022, c’est toujours moins d’heures d’enseignement pour les jeunes de l’enseignement professionnel sous statut scolaire pour les pousser vers une insertion professionnelle précoce. La vision idéologique de Macron ne manque pas de clarté : de moins en moins de cours en LP au profit de plus en plus de temps passé dans en entreprises… en fonction des besoins locaux !
Plus de stages en entreprise, c’est autant de temps en moins pour l’enseignement général et professionnel. Cela va réduire considérablement la capacité d’analyse et d’autonomie des futures professionnels, limiter les poursuites d’études et générer obligatoirement des suppressions de postes d’enseignants. La boucle est bouclée. Par ailleurs, quelle aubaine de bénéficier de professeurs d’enseignement général bivalents qui pourront, opportunément venir compenser les manques dans les collèges et lycées faisant ainsi réapparaitre les « PEGC » d’autrefois.
En outre, adapter la carte des formations en fonction des besoins des entreprises locales, c’est limiter les choix des élèves et les exposer aux aléas socio-économiques de celles-ci. En même temps, l’offre de formation de l’apprentissage ne subit aucune restriction puisque le nombre de CFA a triplé depuis la mise en application de la loi du 5 septembre 2018 ! Nous pouvons d’ailleurs objectivement constater que cela coute un pognon de dingue pour des résultats d’insertion très contestables et inégalitaires, comme le montre les rallonges importantes consenties pour éponger les déficits de France compétences.
Remodeler la carte des formations en fonction des besoins locaux et augmenter le nombre de semaines de stages en entreprise ne constituent que la face visible de la réforme Macron. La conjugaison de ces deux dispositifs revient à forcer l’orientation des élèves pour satisfaire les besoins immédiats des entreprises locales. Ce n’est ni un « gâchis collectif », ni « une voie de choix, et par choix », mais une discrimination qui ne dit pas son nom.

 Une réforme sur le dos des classes populaires

Le lycée professionnel est un lieu d’encouragement, de motivation, d’émancipation. Faut-il rappeler que l’enseignement professionnel sous statut scolaire accueille une part d’élèves en grande difficulté sociale et scolaire plus grande que dans les autres filières ? Certains maîtrisent peu les bases en langues et mathématiques, d’autres sont en situation de handicap avec un accompagnement pour le moins aléatoire.
72 % des élèves en baccalauréat professionnel sont des enfants d’ouvriers, d’employés, d’inactifs et de retraités (DEPP 2022). Le lycée professionnel reste le moyen pour ces élèves d’espérer une meilleure insertion professionnelle voire une poursuite d’études. Déstructurer ainsi le lycée professionnel est une injustice sociale et une insulte à l’histoire de l’enseignement professionnel public !
L’ancien directeur général de l’enseignement scolaire, Jean-Paul Delahaye, interpelle, dans une remarquable tribune au « Monde », les décideurs, parents, et citoyens issus des classes moyennes et favorisées sur leur manque d’engagement pour l’enseignement général au lycée professionnel :
“Vous croyez sans doute que les employés des entrepôts qui mettent dans des cartons des produits fabriqués ailleurs n’ont pas besoin de penser. Les milieux populaires, dont les enfants constituent l’essentiel des effectifs scolarisés dans l’enseignement professionnel, sont coupés du monde politique, ils n’accèdent pas aux médias et ne pèsent pas sur les politiques publiques. Mais les milieux populaires ne sont pas aveugles et ils voient les injustices à l’œuvre dans notre école. Prenez garde, ceux qui comprennent que leurs enfants n’ont pas accès aux mêmes droits que vos enfants auront de plus en plus de difficultés à accepter d’avoir les mêmes devoirs que les autres. C’est notre pacte républicain que vous mettez en danger.”
Ainsi, après des décennies pour faire reconnaître que les savoirs professionnels sont des savoirs à part entière, qui relèvent donc du champ scolaire et nécessitent des diplômes reconnus nationalement. Nous voilà revenus dans le modèle du vieux monde, celui qui a toujours pensé que la simple reproduction des gestes professionnels suffirait bien aux ouvriers ; qu’il
n’y avait pas lieu qu’ils et elles accèdent à des savoirs émancipateurs et à une élévation de leur niveau de qualification.
Aujourd’hui, la France fait face à une pénurie de main-d’œuvre sans précédent et ce dans de
nombreux secteurs d’activité. C’est dans ce contexte tendu pour les employeurs où les salarié-es retrouvent du pouvoir de négociation, que le gouvernement engage une série de « réformes ». S’il prétend les mener au prétexte du plein emploi, en réalité ce qu’il recherche c’est maintenir voire renforcer la concurrence entre salarié-es et précariser toujours davantage une partie croissante du salariat pour empêcher toute redistribution plus juste des richesses créées. Cela passe par une nouvelle réforme de l’assurance chômage, par un allongement du temps au travail - via la réforme des retraites, mais aussi par la réforme des lycées professionnels. Ces réformes serviront d’alibi pour contenir les exigences salariales mais aussi maintenir une pression sur les jeunes diplômé-es à l’entrée du marché du travail. Et pour cela : il faut mettre au travail et rapidement la jeunesse, quitte à ne plus la former, quitte à ne plus la certifier. C’est bien là le cœur de la réforme des lycées professionnels.
Que ces choix politiques compromettent l’obtention du diplôme et donc leur avenir scolaire et professionnel n’est pas son problème.
Alors que l’on a longtemps plaidé pour que l’élévation du niveau de qualification soit la norme pour l’ensemble des emplois - ce qui s’imagine aisément dans une société qui se complexifie - la réforme des lycées pros, si elle advient, réduira dangereusement les savoirs généraux et les compétences métiers des futur-es ouvriers-ères et employé-es de demain alors même que la France a conservé pour l’instant un nombre important d’emplois intermédiaires d’ouvriers-ères et d’employé-es qualifié-es par une persistance plus forte qu’ailleurs de métiers réglementés, par une Fonction Publique importante dans laquelle ces emplois sont fortement représentés - la Fonction Publique recrute a minima à un niveau 3 ou 4.
C’est pour cette raison que la FSU appelle les personnels à la grève et à la mobilisation ce jeudi 17 novembre pour le retrait complet de cette nouvelle réforme.


Olivier Guyon, secrétaire académique du SNUEP-FSU et membre du Comité Technique Académique