Justice sociale et scolaire, l’hypocrisie du gouvernement

samedi 23 mai 2020
par  Snes S3 AT

Comment faire croire que l’on défend la justice sociale et scolaire alors que l’on entend d’abord mettre en place un accueil des élèves pour que les parents reprennent le travail ?

 Recette en 13 étapes – La cacophonie gouvernementale

  1. Le 13 avril, dans un discours présidentiel à une heure de grande écoute, faire le constat que le confinement qui dure depuis près d’un mois creuse les inégalités de tous ordres, ce que personne ne met en doute : « (…) La situation actuelle creuse les inégalités. Trop d’enfants, notamment dans les quartiers populaires et dans nos campagnes sont privés d’école sans avoir accès au numérique et ne peuvent être aidés de la même manière par les parents. Dans cette période, les inégalités de logement, les inégalités entre familles sont encore plus marquées ».
    Sous-entendre que l’école constitue le remède universel à ces inégalités, et en déduire que le retour à l’école est nécessaire dès la fin du confinement fixé sans concertation au 11 mai. Effet de surprise garanti, puisque depuis plusieurs jours les rumeurs d’une réouverture des établissements scolaires en septembre allaient bon train.
  2. Le 15 avril, au ministère de l’Education nationale, promouvoir le concept novateur de « vacances apprenantes » pour les élèves en difficulté.
  3. Se féliciter d’entendre abondamment dans les médias que, finalement, les enfants (en particulier de moins de 10 ans) sont peu contaminants, et ce sur la base d’une étude menée sur un seul enfant (« Les enfants, étonnamment peu vecteurs de la maladie  », Libération, le 19/04).
  4. Passer sous silence l’avis du Conseil scientifique du 20 avril qui préconise une réouverture des établissements scolaires en septembre afin de limiter le risque de recrudescence de l’épidémie. Ne publier cet avis que le 25, en même temps que celui du 24 prenant acte de la réouverture des écoles et posant les jalons d’un protocole sanitaire. Dans la bouche du ministre de la santé, prétendre début mai que ledit Conseil scientifique approuve la réouverture des établissements (Le Parisien, 3/05).
  5. Le 21/04, laisser au ministre de l’Education nationale le plaisir d’exposer devant l’Assemblée un séduisant plan de reprise échelonné sur trois semaines et privilégiant les classes charnières : grande section, CP, 6ème et 3ème, 1ère et terminale, ainsi bien sûr que les lycées professionnels où le risque de décrochage est le plus élevé. Il est annoncé que ces niveaux reprennent dès la semaine du 11 mai pour les classes de primaire, le 18 pour le collège et le lycée. Pour les autres niveaux, c’est après le 25, voire en juin pour les petites classes de maternelle, PS et MS.
    Notons que jusque là, on retrouve une certaine cohérence, les priorités semblant dictées par des impératifs d’ordre pédagogique. Le Ministre se laisse même aller au détour d’une phrase à reconnaître que les classes sont surchargées et qu’elles ne pourront pas le rester à la reprise.
  6. En rajouter une couche en affirmant que « chaque mois d’école perdu est un énorme problème social  » et espérer que de ces beaux discours, il restera l’idée que les établissements scolaires ouvrent pour venir en aide aux élèves qui en ont le plus besoin.
  7. Le 28/04, avec le discours du premier ministre sur le plan de déconfinement, passer enfin aux choses sérieuses.
    Le président l’avait bien dit : « Le 11 mai, il s’agira aussi de permettre au plus grand nombre de retourner travailler, redémarrer notre industrie, nos commerces et nos services  ».
    Nous y voilà : il n’est plus question de classes charnières, d’apprentissage de la lecture, de fins de cycle, de LP…
    La priorité revient clairement aux plus jeunes, à tous ceux que l’on ne peut pas laisser seuls à la maison. Ce seront donc les crèches qui rouvriront, et l’ensemble des élèves du primaire (écoles maternelles et élémentaires) qui reprendront la classe dès la semaine du11 mai, même si leur département se pare du rouge le plus éclatant sur la carte du déconfinement.
    Ensuite viendra le tour des plus jeunes élèves du collège (6ème – 5ème) dans les « régions vertes ».
    Pour les autres, assez âgés pour se garder seuls ou collégiens de 6ème et 5ème des « régions rouges », on verra plus tard, au mois de juin, en commençant tout de même par les LP afin de garder un peu de crédibilité.
  8. Le 29/04, publier des annonces du ministère du travail sans insister outre mesure sur leurs liens avec le point précédent. Dès le 1er mai, l’autorisation d’absence pour garde d’enfant se transformera en chômage partiel. A partir du 1er juin, pour bénéficier du chômage partiel, les parents devront présenter une attestation de l’école justifiant que l’élève ne peut pas y être accueilli.
  9. Laisser le choix.
    Les parents pouvant rester en télétravail (qui devra être privilégié) ou ayant d’autres solutions de garde que l’école pourront choisir de ne pas envoyer leurs enfants dans le grand bouillon de culture : « télétravailleurs », mais aussi familles de tous milieux sociaux ayant au moins un parent au foyer, des cadres supérieurs jusqu’aux bénéficiaires du RSA.
    Laisser entendre, donc, qu’un danger existe et renvoyer à la responsabilité individuelle le fait de le courir ou non...
  10. Croiser les doigts pour qu’un maximum de parents qui peuvent faire autrement n’envoient pas leurs enfants à l’école afin de garder des effectifs permettant un semblant de distanciation sociale. Une étude de l’hôpital de la Charité de Berlin, réalisée celle-là sur 3712 patients, a tout de même montré que dans la contagiosité du coronavirus, il n’existait aucune différence significative entre les catégories d’âge, y compris en ce qui concerne les enfants…
  11. Garder dans le flou la question des cantines dont le rôle social n’est pas à prouver et laisser chacun gérer localement la mise en place du protocole sanitaire inspiré de l’avis émis par le Conseil scientifique le 20/04 et publié dans une version allégée le 3/05.
  12. Face aux oppositions de tous bords, le 4/05 au Sénat, ressortir dans un discours du premier ministre l’argument massue de la pédagogie et du social, et affirmer qu’il faut éviter «  la bombe à retardement du décrochage scolaire ».
    Le même jour, dans la « Circulaire relative à la réouverture des écoles et des établissements et aux conditions de poursuite des apprentissages », recycler les « classes charnières  » et les lycées professionnels qui doivent reprendre avant les autres. Ne pas oublier le vernis pédagogique en ajoutant (enfin) les élèves porteurs de handicap (Quid des difficultés de la distanciation sociale avec les AESH ?).
    Officialiser la priorité donnée à l’accueil des enfants de professions « indispensables à la vie de la nation  », qui seront accueillis chaque jour.
    Préciser que les établissements doivent sonder les parents sur leurs intentions, mais ajouter que leur engagement est valable jusqu’au 1er juin (date de la fin des mesures de chômage partiel). Après, ils pourront bien sûr changer d’avis et envoyer leur enfant à l’école !
  13. Saupoudrer le tout de petits cœurs sur Twitter (Jean-Michel Blanquer le 2 mai) et « d’un peu de sourires et de soleil » (Emmanuel Macron le 5 mai), puis laisser les acteurs locaux se débrouiller.

 L’école de la confusion

Les conditions chaotiques de la reprise liées à la pandémie (petits groupes, alternance des groupes, élèves présents et élèves à distance, protocoles sanitaires), ne permettront guère que d’offrir un service d’accueil dont les objectifs pédagogiques se trouveront fortement limités.
Encore une fois, l’école de la confiance porte bien mal son nom.
A force de tourner autour du pot et de vouloir manipuler l’opinion, le gouvernement risque de n’atteindre aucun de ses objectifs, réels ou affichés :

  • Organiser une garderie ?
    Pour organiser une garderie, il faudrait... assumer d’organiser une garderie, réservée aux parents sans autre solution, sur le modèle (déjà peu satisfaisant en terme de garanties sanitaires) des accueils des enfants de personnels soignants pendant la fermeture des écoles.
    C’est ce que prévoit plus ou moins la circulaire du 4 mai, mais en plus de l’accueil des élèves volontaires : « Des groupes multi-niveaux peuvent être constitués pour scolariser les élèves prioritaires dont les cours n’ont pas repris (...) ».
    En revanche, pour les élèves dont les parents travaillent « en présentiel », mais qui ne sont pas prioritaires, le nombre de jours de classe possible en respectant les consignes sanitaires risque d’être ridiculement faible si les volontaires, les vrais, ceux qui ont un autre moyen de garde, sont trop nombreux !
  • « Désamorcer la bombe du décrochage scolaire » ? En repoussant à juin la rentrée des lycéens, y compris des LP, et pour les volontaires seulement, voilà qui n’est pas très crédible...
  • Régler les problèmes sociaux ?
    « Chaque mois d’école perdu est un énorme problème social.  »
    Qui peut croire que le retour à l’école puisse être le remède à tous les maux : la pauvreté, la violence… ?
    Le problème de l’absence d’école paraît presque secondaire pour certaines familles privées de revenus par le confinement. Les maigres aides prévues par les CAF pour les foyers les plus précaires arriveront bien tard...

Pour tout le monde, la priorité actuelle reste la santé et pour certains la survie matérielle.
L’école ne peut résoudre tous les problèmes.

 La communication « Gala »

Un captivant article du magazine Gala, organe privilégié de la communication du couple présidentiel (au moins jusqu’à la brouille avec la sulfureuse Mimi Marchand), daté du 22/04, nous offre une explication de choix au souci soudain du président pour les élèves en difficulté : l’influence de son épouse Brigitte, qui l’aurait prié (voire supplié !) de rouvrir les écoles dès le début du déconfinement, et ce dans l’intérêt des élèves décrocheurs.
L’explication ne manque pas de sel, car la carrière de la « première dame », professeur au lycée de la Providence à Amiens, puis à Saint-Louis-de-Gonzague (Franklin pour les intimes) dans le XVIème arrondissement de Paris, ne montre pas un goût immodéré pour l’école publique et pour la fréquentation des élèves les plus en difficulté.
Il est vrai que Brigitte Macron, au titre de ses bonnes œuvres, s’est engagée dans une officine dont le nom est un curieux acronyme : le LIVE (institut des vocations pour l’emploi) ouvert à Clichy-sous-Bois en septembre 2019 (Le Parisien du 15/09/2019). Au sein de cet organisme, financé par LVMH et venant en aide à des adultes sans emploi de 25 à 48 ans, elle donne des « masterclass » de français. Ce qui, il faut le dire, sonne beaucoup mieux que les « cours » dispensés par le tout-venant des professeurs.
Mais est-ce vraiment plus convaincant ?
Le retour à l’école est un enjeu essentiel pour les élèves en difficulté, pas un prétexte pour imposer la réouverture à n’importe quel prix !
Le SNES-FSU considère que ce que le ministère nomme « continuité pédagogique » ne peut constituer qu’un pis-aller. Le nombre d’élèves qui n’ont pas adhéré à ce dispositif d’enseignement à distance mis en place à la hâte lors de la fermeture des établissements scolaires dépasse probablement très largement le chiffre annoncé de 5 à 10 %, et ce pour diverses raisons qui vont bien plus loin que la question de l’équipement informatique et des connexions internet des familles.

=> Voir notre article
 : comprendre et décrypter la « continuité pédagogique » vantée par notre Ministre

Il va de soi que la place des professeurs se trouve en classe, auprès de leurs élèves, et que nous ne pouvons nous satisfaire de cet enseignement à distance improvisé.
L’argument d’une réouverture pour les élèves en risque de décrochage ne tient pourtant pas une seconde car elle est incompatible avec le principe du volontariat, volontariat lui-même annoncé pour, entre autres, limiter les effectifs présents et permettre de mettre en place un peu plus facilement un protocole sanitaire…
Qui peut penser que les élèves décrocheurs, après deux mois d’un enseignement à distance qui les aura encore davantage marginalisés, vont se ruer dans leur établissement pour y bénéficier de quelques heures de cours avant les congés d’été ?
Prendre vraiment en compte le risque de décrochage aurait réclamé une réflexion ambitieuse et délicate à mettre en œuvre, puisqu’il est difficilement envisageable de faire revenir tous les élèves en même temps :

  • Faire revenir vraiment prioritairement les élèves de LP, en particulier ceux des filières industrielles trop longtemps privés d’ateliers ?
  • Sélectionner les élèves les plus à risque de décrochage (sur quels critères précis ?) sans les stigmatiser, afin de les ramener à l’école avant les autres, en petits groupes ?
    Qui peut sérieusement penser que cela aurait été possible ?
    Depuis le début, la communication du gouvernement relève donc bien de la plus pure hypocrisie !

     Avant et après la crise du coronavirus, moins de moyens pour les élèves en difficulté dans le secondaire.

    Pour commencer, la crise du coronavirus a cruellement mis en lumière la triste réalité. De nombreux établissements dégradés, des lavabos en quantité insuffisante, des salles trop petites qui transforment en véritable casse-tête la mise en place du protocole sanitaire. C’est une réalité pour tous les élèves et tous les personnels.
    Les conditions d’hygiène scandaleuses en temps ordinaire, deviennent inacceptables aujourd’hui.
    La communication du gouvernement met en avant l’importance de l’école dans la lutte contre les inégalités, ainsi qu’un souci tout particulier pour les élèves en difficulté ou décrocheurs.
    On peut donc légitimement penser que cette noble préoccupation s’inscrit dans une politique globale en faveur des élèves qualifiés pudiquement de « fragiles » par le ministère.
    Or ce n’est pas vraiment ce que l’on constate.
    Contre le décrochage, des mesures gadget ou simplement anecdotiques

  • La mallette des parents dans le premier degré et au collège, est censée rapprocher les familles de l’école.
  • La semaine de la persévérance scolaire doit mettre en valeur toutes les actions menées dans les établissements et tous les acteurs, y compris associatifs. On citera « Énergie Jeunes » qui prétend, sans rire et surtout sans craindre le ridicule, obtenir en quelques heures et pour quelques euros par collégien des résultats ébouriffants, meilleurs que ceux des dispositifs REP...
  • La possibilité pour les élèves ayant leur bac de redoubler dans leur lycée ou de garder pour l’année suivante leurs notes supérieures à la moyenne.
  • Le recours à des coachs privés financés par le Conseil départemental (c’est le cas dans le Val d’Oise) pour remotiver les élèves...

Des DHG insuffisantes, des postes en moins

  • Pendant ce temps, depuis 2017, près de 5700 postes de professeurs ont été supprimés dans le second degré.
    Aucun emploi de CPE, d’AED, d’assistants sociaux, de psy-EN, d’infirmiers, de médecins scolaires n’a été créé alors que 100000 élèves supplémentaires sont arrivés dans les collèges et les lycées et que la hausse va continuer pendant plusieurs années (US du 25 avril 2020).
    Les DHG de l’académie de Versailles pour 2020-2021 ne suivent pas l’augmentation du nombre d’élèves alors que les besoins seront plus importants pour faire face à la crise du coronavirus qui n’est malheureusement peut-être pas terminée. Le recours aux HS est accru, ce que nous refusons.
    Rien ne semble prévu pour rattraper les enseignements n’ayant pas eu lieu en classe cette année, à part de mystérieux stages et d’hypothétiques colonies de vacances (apprenantes forcément). Pas de dédoublements, pas de postes supplémentaires.
  • La réforme du lycée et en particulier du LP, mise en place à marche forcée à la rentrée de septembre 2019, entraîne la baisse des heures de cours, et donc des suppressions de postes (mathématiques par exemple). En LP, la réduction des horaires de cours, surtout dans les disciplines générales, fait craindre aux enseignants un risque accru de relégation de ces filières ainsi que des poursuites d’études plus difficiles.
  • Les AESH toujours précaires et sous-payés, en nombre insuffisant, mutualisés, ne peuvent assister que quelques heures par semaine les élèves porteurs de handicap ...

La destruction programmée de l’éducation prioritaire
Le rapport Azéma-Mathiot, paru en novembre 2019, préconise la disparition des REP au profit d’une prise en compte plus individualisée de la difficulté scolaire.
Sous prétexte d’éviter l’effet de seuil, chaque école ou collège recevrait une dotation en fonction des caractéristiques et des difficultés de ses élèves.
C’est seulement oublier l’effet négatif de la concentration des difficultés sur certains quartiers où la mixité sociale et scolaire est très faible...
Seuls seraient maintenus les REP+, vus comme des laboratoires de la déréglementation et de l’expérimentation pédagogique.

Désamorcer la bombe du décrochage scolaire ? Vraiment ?

Le SNES-FSU fait de la lutte contre les inégalités sociales et scolaires et plus généralement de la démocratisation de l’école le cœur de son projet. C’est pour cela qu’il dénonce fermement l’instrumentalisation des inégalités sociales faites par le gouvernement et les collectivités territoriales dans leur plan de communication pendant cette crise.
Au niveau académique nous avions déjà dénoncé l’insuffisance de la dotation académique et en particulier la reprise de moyens faite sur les dotations des établissements de l’éducation prioritaire dans plusieurs départements au moment de la préparation de rentrée.

=> Voir notre article : Rentrée 2020 dans l’académie : moyens insuffisants, conditions de travail dégradées !

Le SNES-FSU revendique des moyens supplémentaires pour remédier l’an prochain aux effets de la discontinuité pédagogique et au creusement des inégalités sociales et scolaires déjà très présentes dans notre académie avant le confinement. L’absence de réponses positives à cette revendication essentielle, tant de la part tant du ministère que du rectorat, démontre leur peu de considération pour les conditions d’études des élèves.

Le SNES-FSU combattra avec la Profession les tentatives d’instrumentalisation de la période actuelle par le Ministre pour imposer son projet d’école libérale et la marchandisation du service public d’éducation qu’il tente entre autre par le biais du numérique. L’école doit prendre en compte la période actuelle et les inégalités qui se sont creusées ainsi que la réalité de la situation sanitaire. Mais cela passe d’abord par des moyens permettant notamment le travail en groupe classe à effectifs réduits et non par l’imposition de pratiques pédagogiques combattues par la profession depuis plusieurs années.

Pour le SNES-FSU une réelle prise en compte des inégalités sociales et scolaires passe par un plan ambitieux de relance de l’éducation prioritaire. et non par sa destruction à court terme, portée par le Ministre et illustrée par le rapport Azéma-Mattiot.

=> Voir notre article sur la territorialisation de l’éducation