Réforme du collège, réforme du lycée : une même logique, les mêmes effets.

mardi 12 janvier 2016
par  Secteur politique éducative

Il est symptomatique que le bilan de la réforme Chatel concernant le lycée reste caché : le bilan est fait, mais le ministère ne le sort pas. Pourquoi ? Parce qu’il faut que la réforme du collège s’applique sans éléments de réflexion de la part des enseignants et des familles. L’esprit et les recettes sont identiques entre réforme du collège et réforme du lycée.

— Pour les langues vivantes :
Au lycée, faute de moyens suffisants, les heures de concertation nécessaires pour les groupes de compétences n’ont pas lieu. Les élèves restent de fait dans leur groupe. L’enveloppe globale donnée à l’établissement oblige à une cote mal taillée entre les langues (4H30 à diviser entre 2 langues vivantes en 1ère).
Au collège, les heures pour la seconde langue en 5ème sont prises aux classes de 6ème, 4ème et 3ème. Donc le fameux « bain linguistique » cher à l’Inspection n’est plus d’actualité faute d’un nombre d’heures suffisant. C’était pourtant présenté comme une nécessité absolue pour l’acquisition d’une langue.
Les dernières ouvertures de classes européennes s’étaient faites sur notre académie dans des lycées professionnels, loin du prétendu élitisme qui les supprime dans la réforme du collège. L’ouverture de classes européennes permettait à certains établissements de garder les élèves.
Pour la disparition des classes bilangues, c’est à terme celle de l’Allemand qui est programmée. Dans un cercle vicieux bien connu déjà, après les élèves, ce sont les enseignants qui vont manquer, justifiant a posteriori la fermeture des classes. Pourtant elles avaient permis plus de 500% d’augmentation du nombre de germanistes.

— L’aide personnalisée :
Au lycée l’aide personnalisée a d’abord reçu un soutien et un accueil favorables des parents grâce à une bonne communication du ministère. Le Snes dès le début avait dénoncé l’imposture : qui pouvait croire, en pleine réduction des moyens, avec les dizaines de milliers de suppression de postes, que chaque élève bénéficierait de 2 heures personnalisées ? et sans conséquences sur les enseignements ? Comme aux parents des collégiens aujourd’hui, l’administration avait fini par expliquer la nuance entre « personnalisée » et « individualisée »... Au lycée ces heures sont souvent assurées par des professeurs qui n’ont pas la classe, rendant l’efficacité des séances encore plus sujette à caution. Au mieux, des séances se déroulent avec la moitié d’une classe, soit 15 à 17 élèves, mais souvent au lycée c’est en classe entière. La manipulation a permis de retirer des heures d’enseignement, les heures d’AP rentrant dans l’horaire légal des élèves qui est plafonné.
L’urgence d’introduire ce dispositif au collège est d’autant moins justifiable que les projets sont de reporter l’orientation à la fin de la classe de seconde et que les redoublements sont de fait abolis. Et aucun bilan favorable n’a pu être produit pour l’AP en lycée concernant les progrès des élèves en difficulté.

— Langues anciennes :
Suppression des langues anciennes ? Non, dit le Ministère, puisqu’ « il n’y a qu’à » profiter de l’autonomie des établissements et faire voter en CA un enseignement de latin et de grec. Plus exactement, « il n’y a qu’à » en faire en EPI, enseignements pratiques interdisciplinaires ; et donc, « il n’y a qu’à » retirer ces heures aux autres disciplines. Lesquelles ? « il n’y a qu’à » discuter en interne pour voir quel collègue accepte de voir ses horaires amputés. Dans tous les cas, des arbitrages seront nécessaires et « il n’y a qu’à » s’en remettre, souvent, au pouvoir des chefs d’établissement qui en sort renforcé. Pour la mise en place, « il n’y a qu’à » pour les enseignants en EPI, se concerter sur des heures ...à trouver hors de leur service. Enfin « il n’y a qu’à » comprendre que ces réductions d’horaires augmentent automatiquement le nombre de classes que les professeurs ont en charge pour effectuer leur service complet.
À l’évidence, les enseignements d’exploration « Langues et culture de l’antiquité », peu demandés par les élèves de Seconde, préfigurent la désaffection des EPI langues anciennes et la disparition programmée des langues qui ont fondé la culture européenne.
Les EPI, sous couvert de nouveauté, reprennent des formules éprouvées : les anciens PAE (Projets d’Action Éducatives, années 80), les non regrettés IDD (Itinéraires de découverte), ont tous mené aux mêmes effets : quand les dispositifs sont retirés, les heures ne sont pas rendues.
L’évaluation aléatoire contribue à rendre les enseignants animateurs de groupe : pas d’évaluation notée dans la plupart des établissements pour les enseignements d’exploration, des élèves totalement désinvestis malgré l’investissement des collègues.
Encore une fois la confusion est entretenue par les termes employés : enseignements complémentaires (sic, pour l’AP, les EPI)qui sont obligatoires, et enseignements de complément qui sont facultatifs (Latin, Grec etc.)

— Conditions de travail :
Si la DGESCO produit l’exemple d’un emploi du temps idéal post-réforme du collège, c’est que celle du lycée produit des mises en barrettes qui empêchent toute souplesse en multipliant les contraintes, des EDT à trous pour les professeurs et les élèves. Si les élèves de collèges sont paraît-il perdus parce qu’ils ont plusieurs enseignants, que dire de ces EDT qui ne seraient pas les mêmes toute l’année ?

— Élèves en difficulté :
Face aux difficultés que rencontrent nos élèves et au décrochage scolaire, les solutions proposées par la réforme du collège sont l’individualisation, la personnalisation et la différenciation, toutes solutions auxquelles aucun moyen supplémentaire n’est associé. Elles risquent de stigmatiser les élèves en difficulté dans leur échec, leurs différences. Alors que l’apport de moyens supplémentaires pour des effectifs réduits, des dédoublements, de la co-intervention permettrait de gérer la difficulté scolaire au sein du groupe classe et de mettre en place des pratiques collaboratives entre élèves…Au lycée l’A.I, aide individualisée qui regroupait des élèves identifiés par les enseignants dans des groupes restreints, leur permettait de combler des lacunes qui perdurent depuis le remplacement de l’A.I par l’A.P.

— Cycles :

Installé par la loi de refondation de l’École, un nouveaux cycle CM1- CM2- 6ème, relie l’école primaire au collège, portant une vision du collège comme la continuité structurelle du primaire, et donc de fait le retour de l’école fondamentale. Vision de l’école n’ayant pas l’ambition de porter la scolarité obligatoire, comme le défend le SNES, à 18 ans, mais se contentant de garder les élèves jusqu’à leur 16 ans.
L’absence de mise en place d’une réelle liaison 3ème- 2nde pourtant nécessaire pour inscrire les élèves dans la poursuite de leur scolarité, est à mettre en lien avec la suppression des secondes spécifiques remplacées par une classe indifférenciée. La prochaine étape, après les troncs communs des 1ères de filières technologiques, est la seconde indifférenciée, ou le lycée orientateur en fin de seconde, avec tous les problèmes que cela suppose.
Tout ceci laisse craindre une disparition de nombreuses filières, même si la réforme des lycées a déjà quasiment détruit l’enseignement technologique dans sa diversité, avec 44 spécialités réduites à 4 options. Par cette suppression de filières de réussite pour certains élèves, c’est l’accès aux trois voies du lycée pour l’ensemble des élèves qui est menacé et ainsi la démocratisation du lycée.
L’objectif, sous couvert « d’orientation », est de permettre une gestion par flux des élèves et de réduire les coûts budgétaires pour l’État.
La réforme de l’Éducation prioritaire avec ses a priori et ses mensonges quant aux moyens et aux choix des collèges, révèle la vision qu’a le gouvernement de l’école obligatoire, avec l’exclusion de tous les lycées de la carte de l’Éducation prioritaire : clairement, la démocratisation du lycée n’est pas une priorité.
Les nouveaux programmes qui devraient être publiés au B.O du 19 novembre sont extrêmement surprenants dans leur contenu mais surtout dans le fait qu’ils sont conçus par cycles sans repères annuels. Les enseignements appartiennent à des blocs, ainsi sur la classe de sixième les programmes de svt-physique-technologie seraient globalisés.
Le choix laissé au local pour fixer des repères et contenus annuels, rajouté à la possibilité que la réforme du collège laisse aux établissements le soin de moduler les horaires disciplinaires au sein d’un cycle, pose le problème de la territorialisation de l’éducation qui ne pourra plus être qualifiée, de fait, de nationale.

En moyenne, les élèves auront 250 heures de moins pendant leurs 4 années de collège. Malgré les schémas très colorés de la DGESCO, le total des heures d’enseignements reçues par les élèves diminue. On n’entend plus les pleureuses médiatiques du « niveau qui baisse »...

Pour l’instant, au collège comme en lycée, le résultat est celui que dénonçait le Snes : augmentation de la charge de travail, déconsidération des enseignants, perte de sens du métier, inéquité entre les matières et inégalités accrues entre les élèves etc.
Les ministres se suivent mais une administration « Big Brother » continue d’appliquer des mesures idéologiques, rejetées déjà à l’étranger après un bilan public, et montre une totale déconnexion avec le terrain.
Le Snes défend les collègues, dénonce la régression dans ce qui touche à leur pratique professionnelle, mais son projet pour l’École concerne les élèves ; et le diagnostic est clair : réformes toxiques, profondément inégalitaires et délétères.

Voir les liens suivants :
http://www.versailles.snes.edu/IMG/pdf/formation_formatage-1.pdf

http://www.versailles.snes.edu/spip.php?article3694

Antoine Tardy
Responsable du secteur collège
colleges@versailles.snes.edu
MP Carlotti
Responsable du secteur lycée
lycee@versailles.snes.edu